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J’empathie, j’en pâtis…

stevenclavel

Dernière mise à jour : 10 juin 2022

Image parJohn Hain de Pixabay

Mettons nous au diapason !


Une amie de la famille passait un entretien pour un poste d’auxiliaire de vie dans un hôpital. Tout se passait bien jusqu’à ce que tombe la question fatidique, « Êtes-vous empathique ? » Cette amie répondit « non. » … Grand froid …


Pas plus tard qu’hier, je lisais dans un article sur les qualités requises dans le monde professionnel que « si vous n’êtes pas capable d’empathie, vous êtes un sociopathe … »

L’Empathie ! à la mode depuis les années 90, notamment dans les sphères du recrutement, cette « qualité » nous fait, ces derniers temps, un gros revival ! Même si les deux premières qualités recherchées par les recruteurs sont en fait la rigueur et l’autonomie (cherchez l’erreur…), loin devant les savoir-être « humains », il n’est pas un article, une émission, ces derniers temps, qui ne place son petit grain de sel en la matière. Il faut impérativement être « empathique ! » Mais qu’est ce que cela signifie ? Comment cela fonctionne-t-il ? Quels en sont les bienfaits, et les conséquences ? Pourquoi, dans les professions à vocation humaine – comme dans les hôpitaux, pour revenir à notre exemple – assiste-t-on à des « burnouts empathiques ? »


On nous aurait menti ? l’empathie ne serait donc pas une solution miracle ? Que faut-il avoir/faire alors ?


Dans la souffrance

« Les mots créent les maux »


Littéralement, étymologiquement, empathie signifie « dans » la souffrance.


On constatera que, d’ores et déjà, le mot lui-même ne porte pas la même signification que la définition la plus commune que l’on veut bien lui donner, pour se donner à soi justement bonne conscience : « capacité à ressentir les émotions de l’autre. »


On sent déjà là une certaine dichotomie entre ce que le mot porte en lui, et ce qu’on veut bien lui faire dire. La distance à la souffrance n’est pas du tout la même. En appeler à l’empathie implique de « rentrer dans » la souffrance de l’autre. On s’éloigne quelque peu du fait d’être simplement capable de ressentir les mêmes émotions, non ?


L’acception que l’on voudrait bien donner à l’empathie serait de « reconnaitre » les émotions de l’autre, à l’aune des siennes, justement. Or, si l’on s’en tient au sens strict du terme, cela signifie « éprouver les mêmes émotions » que l’autre ! Plus facile à dire qu’à faire, et plus dangereux aussi …


« Pétage de plombs »


Ce mésusage du terme expliquera donc en grande partie les burnouts empathiques. En « imposant » notamment aux personnels médicaux et/ou sociaux d’être empathiques, on leur demande littéralement de « prendre la souffrance des autres. » On demande même d’être empathique en entreprise !


Pour en faire quoi ?


Savoir identifier, reconnaître les émotions de quelqu’un qui souffre est utile, effectivement, car cela permet d’adapter son comportement, voire même d’accompagner le traitement « matériel » du mal, des problèmes, de la situation du souffrant, que l’on soit dans le monde du médical, du social, ou en entreprise, que l’on y soit manager ou équipier d’ailleurs.

Tout un chacun gère déjà ses propres émotions, ses propres soucis, et dispose de ses propres schémas de réponse qui contribuent à garder un certain équilibre et le cap malgré, justement, ces dites émotions et leurs effets sur le mental et, dans certains cas, le physique. Cela représente déjà un certain poids et une certaine place dans nos propres vies. Vous imaginez donc ce qui se passer si l’on doit, en plus, et sans « techniques », « recettes », prendre les souffrances de autres ?


Deux issues se présentent alors :

  1. soit l’on « craque » soi, sous le poids d’une double souffrance, dont une n’est en plus carrément pas la nôtre, et c’est justement le burnout empathique

  2. soit l’on commence à avoir besoin de la souffrance des autres pour maintenir notre équilibre

Dans les deux cas, cela devient dangereux pour soi.


A vos risques et périls

« Par ici la sortie »

Aider les autres part toujours d’une excellente intention ! Je ne dirai jamais le contraire ! tout dépend comment l’on s’y prend…


Mais tant va la cruche à l’eau, qu’à la fin elle se casse…


Et pourtant, le burnout empathique est presque salutaire, avantageux. Je vois déjà certains prêts à me clouer au pilori pour avoir oser dire ça ! L’avantage de « craquer » soi une bonne fois pour toute permet de tout remettre à plat, d’avoir l’occasion de se poser les bonnes questions, de faire de nouveaux choix pour mieux repartir, et surtout ne pas répéter les mêmes erreurs… A condition bien sûr de le vouloir, car il ne faut pas oublier que la souffrance appartient à celui qui la subit et que, dans certains cas, c’est ce qui lui permet justement d’exister.


Cela permet aussi de faire le tri dans ses propres émotions, dans la manière de les gérer, et de se fixer de nouvelles limites à ce que l’on s’autorise à supporter – dans tous les sens du terme !


Et en tout état de cause, cela vaut toujours mieux que d’avoir besoin de la souffrance des autres pour vivre, non ?


« Soif de souffrance »


Aider quelqu’un à aller mieux est gratifiant, certes, et l’on en retire des bienfaits, on s’en nourrit…


Cependant, quand on se borne à rester seulement empathique, on tombe très vite dans ce que j’ai fini par appeler le « vampirisme empathique. »


Quésaco ?


Il faut être conscient que si l’on est capable de simplement « reconnaître » une émotion chez l’autre, c’est parce qu’elle entre en résonance avec cette même émotion en nous. Nous ne pouvons RE-connaître que ce que nous « connaissons » déjà.


Sachant qu’être seulement empathique revient à prendre les émotions des autres, nous nous retrouvons donc avec … une double dose de nos émotions ! Quand elles sont positives, pas de souci (quoique…), mais quand elles sont négatives, ça se corse …


Or le fait d’avoir « quand même » aidé l’autre va nous procurer un « shoot de bonheur », qui va venir un temps compenser nos propres émotions négatives. L’autre sera certes soulagé d’une partie de ses émotions négatives – grâce à nous ! – mais entre temps, nous aurons nous-même alourdi notre charge d’émotions négatives. Et le seuil ou les « shoots de bonheur » ne compensent plus l’alourdissement des nos charges émotionnelles négatives est très bas.


Dans ce contexte, comme un drogué à qui il manque sa dose, nous allons très vite avoir besoin d’à nouveau aider quelqu’un, pour retrouver notre dose de bonheur … quitte, faute d’avoir assez de « fournisseurs », à entretenir juste assez de mal-être chez l’autre pour qu’il ait besoin qu’on l’aide. Très pervers, mais très commun… « Tuer le bonheur des autres pour se repaître de leur malheur » est un processus qui se rapproche beaucoup et, dans la plupart des cas, participe au fameux « triangle de Kapman », qui dépeint la relation « bourreau-victime-sauveur… » Car ce n’est pas celui qui est aidé qui se plaindra, puisqu’il a toujours quelqu’un pour l’aider, justement !


L’overdose n’existe pas dans cette addiction, malheureusement. Par contre, l’arrêt brutal des prises est particulièrement dangereux ! Que faire donc alors pour sortir de ces schémas ?


Sortir du caniveau

« […]C’est la faute à Voltaire, […] C’est la faute à Rousseau ! »

Récemment, je suis tombé sur une citation, dont j’ai malheureusement oublié l’auteur, qui disait « si ton ami est tombé dans le caniveau, ne descends pas pour l’aider, car une fois que vous serez tous les deux en bas, qui vous en sortira ? »


Cette citation est la définition même de l’empathie. Pas celle qu’on voudrait nous faire croire, mais celle qui existe réellement, avec les conséquences que nous avons évoquées plus haut.


Être seulement empathique, même si c’est à la mode, et un pré-requis à l’embauche, n’est pas suffisant, et surtout est dangereux.


Il existe plusieurs manières de sortir son ami du caniveau, et c’est ce que nous allons aborder dans la suite de cet article


« Donne-moi ta main, et prends la mienne ! »


Ce caniveau va nous être très utile car il va nous servir à comprendre comment justement nous extirper de cette « pure empathie » pour pouvoir aider les autres sans les « effets secondaires. »


La première approche est la compassion, le stade juste au-dessus de l’empathie. Littéralement « avec » la souffrance, ce terme implique de lui-même que le rapport à la souffrance de l’autre est différent de celui inhérent à l’empathie. Avec la compassion, nous ne sommes plus « dans » la souffrance de l’autre, et la nuance est de taille !

Être compatissant, c’est s’assoir, ou s’allonger, au bord du caniveau et tendre le bras, ou une corde, à l’autre pour l’aider à remonter.


Cela nécessitera forcément un effort de notre part, car c’est à la force de nos bras (en direct ou en tirant la corde) que nous allons remonter l’autre. Mais l’autre garde cependant un marge d’indépendance dans le processus : il peut toujours se servir d’un de ses bras et/ou de ses jambes pour s’aider lui-même dans la remontée !


Et le simple fait de laisser à l’autre une forme d’indépendance dans son processus réparateur nous empêche implicitement de le « manipuler » comme nous pourrions le faire dans le cadre de l’empathie seule pour assouvir notre addiction.


L’autre se prend d’autant plus en main, décide par lui-même, sachant qu’il aura toujours notre « corde » pour l’assurer en cas de rechute, ou notre main pour s’y raccrocher. Certes le processus peut, dans un premier temps apparaître plus long et nécessiter de notre part un certain engagement, mais il est d’autant plus salutaire et efficace. Cela nous demandera une certaine disponibilité, mais en même temps, nous n’aurons pas à prendre en charge les émotions des autres en plus des nôtres. C’est déjà mieux, non ?


Exercer la compassion ne s’apprend pas en claquant des doigts. Cela nécessite d’apprendre à connaître et maîtriser ses propres émotions pour ne pas se laisser déborder par celle des autres, du fait du principe même de résonance émotionnelle. Cela requiert de se « détacher » des émotions de l’autre – ce qui semble de prime abord paradoxal -, mais surtout pour le pas les subir et s’en surcharger.


Charité bien ordonnée ne commence-t-elle pas par soi-même ? En effet, si nous sommes incapables de nous aider émotionnellement nous-même, que vaudra réellement notre aide pour les autres ?


Si mon amie a choqué ses recruteurs, c’est parce qu’elle a compris que Sainte Empathie ne fait pas de miracle… bien au contraire. Elle préfère – et les personnes qu’elle assiste aussi – pratiquer la compassion, car c’est le minimum d’une relation émotionnelle gagnant/gagnant !


Enseignez la pêche !

Le stade suivant, au dessus de la compassion, c’est la « bienveillance« , soit « vouloir le bien. »


Revenons à notre fameux ami dans le caniveau : faire preuve de bienveillance, cela va consister en … ne rien faire ! du moins pour un observateur éloigné !


Être bienveillant, c’est donner un maximum de conseils, de guides, d’instructions pour aider l’autre à remonter tout seul. C’est de la « pédagogie active. » Si dans la compassion, on prend encore part d’une manière ou d’une autre au processus d’apprentissage de l’autre, avec la bienveillance, on intervient le moins possible tout en « autonomisant » l’autre au maximum.


Et les dangers s’éloignent : on s’est contenté d’identifier les émotions de l’autre, on ne les prend pas à charge, et surtout comme l’autre est complètement indépendant dans son ascension, il est impossible de tomber dans le vampirisme ! D’autant que le bonheur que l’on ressentira à la réussite de l’autre viendra justement de cette réussite et de cette fierté d’avoir, pour lui, réussi, et notre « rétribution » en sera d’autant plus saine et désintéressée.

Être bienveillant n’est pas facile, certes. Cela demande de pouvoir se détacher de ses propres émotions cette fois-ci. Une fois celles de l’autre identifiées – et juste identifiées ! – grâce à la résonance émotionnelle, et donc comprises, le bienveillant mettra les siennes de côté pour garder l’esprit clair dans son processus de guidage. Tout le monde en sort finalement renforcé et grandi !


Vivre le bonheur


La dernière qualité, l’Ultime, le Graal du bien autour de soi, c’est l’altruisme.


Cet état, lui aussi mal utilisé et surtout mal défini, semble difficile à atteindre. En fait, il implique un désintéressement total dans nos actions. L’altruisme implique que l’on est disposé à dispenser notre bonheur et nos recettes sans rien attendre en retour, même pas la quantité la plus infinitésimale de shoot de bonheur !


Or, nous vivons dans une ère particulièrement matérielle et matérialiste. On n’a rien pour rien, et on n’est prêt à donner que si l’on reçoit en retour, en contrepartie de notre engagement et de nos services rendus, fût-ce seulement un shoot de bonheur…


L’altruiste est intrinsèquement et foncièrement bon. Il n’attend rien en retour, et ce détachement est en fait la meilleure des protections. Il n’applique pas de recettes, de méthodes pour son propre bonheur ou pour celui des autres. Il vit son bonheur « à fond », et celui-ci rejaillit de lui-même sur les autres.


Il fait résonner tellement fort ses émotions positives que ceux qui le sollicitent ne peuvent que s’aligner « par le haut » avec celles-ci. Il tire naturellement tout le monde vers le haut.


« Good vibes ! »


La prochaine fois qu’on vous demandera si vous êtes « empathiques », repensez à tout cela !

Personnellement, je réponds

  1. que je suis effectivement capable de résonance émotionnelle

  2. que je sais gérer cette résonance et ses effets sur mes propres émotions, voire faire abstraction de celles-ci

  3. qu’à ce titre, je m’efforce à tout le moins d’être compatissant

Faisons attention à ce que nous disons, et comment nous l’utilisons, c’est la base même de notre propre évolution personnelle. Prenons soin de nous-même pour améliorer la qualité de nos actions envers les autres, et surtout n’attendons rien d’eux en retour, si ce n’est le plaisir simple de les voir aussi évoluer.


« Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir ! »

 
 
 

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