
C’est une des premières phrases que j’ai apprises quand j’ai entamé, il y plus de vingt ans maintenant, mon propre travail thérapeutique – et oui, pour aider les autres, il faut d’abord avoir pensé à s’être fait soi-même aidé ! ça évite les accidents de parcours, et ça permet d’être autrement plus disponible pour les autres ! Mais on parlera de cela en particulier dans un autre sujet, sur la « posture » du thérapeute.
Revenons donc à nos moutons ! que dis-je ?! à nos ânes
Ces gentils et braves mammifères ont reçu, à travers les âges, une réputation de « testardise » et de « bêtise » dans le genre tenace : « têtu comme un âne, espèce d’âne », et autres sympathiques quolibets… Je passe aussi sur les fameuses oreilles d’âne dont étaient affublés les cancres à l’école, en d’autres temps, non content d’avoir en plus été mis au coin. Ai-je enfin besoin d’évoquer aussi la pseudo méchanceté doublée de roublardise dont ils ont été qualifiés : « sale bourrique… »
Il se trouve en fait que ce charmant équidé est doté d’une intelligence particulièrement remarquable. Il a été prouvé qu’en fait ces animaux font preuve d’une extrême sensibilité qui, chez l’humain, se rapprocherait de l’intuition. Un âne qui marque un refus est donc un âne qui a pressenti que « quelque chose n’allait pas », ne tournait pas rond, et qu’il y avait même, selon les circonstances, risque de danger, pour lui, ou pour les autres Ainsi, l’âne qui refusait d’avancer sur la route avait souvent senti un serpent, une bête sauvage ou autre danger avant ses maîtres. Quand un âne refusait de se mettre en marche après avoir été bâté, c’est que la charge était décidément trop lourde pour lui, et qu’il ne serait pas à même d’affronter le (long) trajet qui l’attendait.
Robustesse n’a jamais été synonyme de bêtise, que je sache… En tout cas, les ânes le savent, eux ! Et là, effectivement, ils peuvent se montrer particulièrement têtus, obtus, obstinés, bornés … de notre point de vue strictement humain. Tant d’obstination peut effectivement avoir fait croire à leurs propriétaires qu’en plus d’être bornés, ils étaient aussi stupides, pour ne pas comprendre un ordre simple qui avaient certainement été proféré sur tous les tons de plusieurs octaves successives. Nous oublierons un instant le caractère assez péjoratif de notre expression pour nous en tenir à un simple constat dépourvu de tout jugement : ce qu’Âne ne veut pas …. eh bien Âne ne veut pas ! point barre, c’est comme ça et pas autrement !
Pourquoi donc faire référence à cette expression concernant le travail thérapeutique ?
Ce proverbe – d’origine basque d’après les recherches que j’ai menées – doit faire écho à tout thérapeute en au moins deux circonstances.
Voici la première : Il peut quelques fois arriver que nous rencontrions des personnes dont nous sentons, « thérapeutiquement » parlant, qu’elles ont sérieusement besoin d’aide. Notre empathie naturelle pourrait nous pousser à vouloir, même contre – ou à ‘insu de son plein – gré, l’aider, coûte que coûte. Surtout pas ! Cela se révélerait dangereux, pour tout le monde.
Ce qui peut NOUS apparaître comme un déséquilibre flagrant – et j’insiste sur le NOUS, c’est NOTRE point de vue – peut être un état de fait ou une situation nécessaire à cette personne pour maintenir son propre équilibre. Ce peut être aussi quelque chose dont la personne n’a pas pleinement conscience, et qui vit très bien, de son point de vue, sans se poser de questions sur le sujet ! Que gagnerions-nous à mettre directement l’accent, ou à révéler, sur qui fait mal à la personne, où à révéler quelque chose qu’elle ignorait mais qui pour le coup risquerait de lui faire mal ? Vous avez déjà la réponse : rien !
D’une part, nous risquerions de lui faire « doublement mal » : d’une part, elle sait ou sent qu’elle va mal, mais elle ne peut – ou doit – rien faire en l’état, car c’est peut-être quelque chose qu’elle a besoin de vivre pour y trouver certaines ressources. D’autre part, en « appuyant » directement là où ça fait mal, quelle que soit l’intensité de la pression, nous risquons d’accentuer, d’aggraver ou d’étendre la douleur. D’un point de vue purement lucratif – et surtout cynique – c’est la bonne affaire pour le thérapeute : il se crée un client, et en plus il sait qu’il va pouvoir le garder longtemps, très longtemps. Je doute que ce soit l’éthique de tout thérapeute qui se respecte et qui respecte ses patients !
Un thérapeute respectable ne joue pas au Ice Bucket Challenge avec les gens qu’il rencontre. Ce n’est pas parce qu’il a les moyens de savoir intuitivement ce qui va mal qu’il doit « balancer » des seaux d’eau glacée à la tête de tous ceux qu’il rencontre… Le maximum qu’il peut, et doit, d’autoriser, c’est de laisser un seau d’eau fraîche, visible, sans forcément être en évidence, afin que l’âne sache que, quand et si il a soif, il aura de quoi se rafraîchir.
Venons-en donc à la deuxième circonstance…
La deuxième circonstance dans laquelle le thérapeute doit veiller à cette maxime apparemment innocente, c’est pendant le travail thérapeutique lui-même : Grâce à ses outils, son intuition, le thérapeute « sait », « sent », « voit », « anticipe » tout. En fait, non ! Enfin … si ! Bon allez, je m’explique !
Tout ce que le thérapeute sait, sent, voit, anticipe ne lui sert en apparence que très peu dans le travail d’accompagnement de son patient, mais ce peu a une énorme importance. Ce sont en fait les garde-fous du praticien. Les limites au-delà desquelles son patient risque de trop boire d’un coup. Il arrive des moments où, dans la thérapie, ça « veut pas… » Ca bloque, voire ça régresse. Le thérapeute est à même d’entrevoir une issue, mais le patient bute sur les étapes. C’est là qu’il faudra de la perspicacité et du détachement pour ne pas forcer les choses.
Rappelons qu’un accompagnateur thérapeutique a une obligation de moyens, pas de résultat, parce qu’en tout état de cause ledit résultat appartient complètement, pleinement et entièrement à celui qui a entamé un travail sur lui-même. Il est donc inutile, d’une part, de s’acharner à emmener le patient vers l’hypothétique solution entrevue – il n’a pas soif, point. En forçant, l’on retrouverait les mêmes conséquences que celles évoquées pour le point précédent.
D’autre part, si un patient ne souhaite visiblement pas aborder un sujet en particulier, et même si le thérapeute considère que ledit sujet est d’une importance capitale dans l’avancée de la thérapie, là encore, il est inutile de forcer les serrures.
D’autant plus que le cerveau du patient se verrouillera proportionnellement à la force que nous mettrons à forcer le passage. Des deux côtés, ce sera de l’énergie inutilement gaspillée. Et plus de mal que de bien.
La thérapie confine à la l’Art dans le sens qu’elle nécessite une parfaite maîtrise des outils, et un savant dosage de ces derniers afin de permettre au patient de se modeler lui-même du mieux possible, afin qu’il puisse réaliser la meilleure et la plus belle œuvre de sa vie : lui-même !
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